Publié par : paysdesmasques | lundi, 17 février 2014

Le monde obscur de la surveillance ( partie 2 ) — Tu m’espionnes ? Je t’espionne, moi non plus…

  

 

Arroseur arrosé, Jacques Parizeau, chasseur attitré des taupes infiltrées au PQ, comme Claude Larivière, un indic de la section antiterroriste de la police de Montréal, était lui-même « infiltré » à son insu par la police, à cause de sa liaison avec Carole Devault, sa proche collaboratrice dans le comté d’Ahuntsic où il fut candidat du Parti québécois, en avril 1970.  « La période la plus périlleuse de ma vie », avouera-t-il plus tard. Et comment! Car son amante était délatrice. La police l’avait recrutée avant qu’elle ne cherche à entrainer le jeune prof d’histoire Robert Comeau, alors membre actif du FLQ, dans un vol à la Caloil pour financer le mouvement terroriste. Mais celui-ci se défila car il se méfiait d’elle avec raison car elle était indicatrice de la  police sous le nom de code de « Poupette », matricule 945-171. Jacques Parizeau n’apprit qu’en 1980, aux audiences de la commission d’enquête Keable sur les agissements de la GRC, la double personnalité de Carole Devault.

Notre chasseur d’espion lui-même pris comme cible n’a pas attendu la prise du pouvoir du PQ, en novembre 1976, pour se soucier des questions de sécurité. À la même époque, pour « voir d’où venaient les coups », selon son expression, il avait organisé « une filière de renseignements ». La presse révéla que le « réseau Parizeau » était chargé de cuisiner les députés et ministres fédéraux trop bavards. Sa tête de pont était formée de trois « superespionnes » péquistes, dont Louise Beaudoin et Lorraine Lagacé, celle qui allait, en 1981, démasquer l’informateur de la GRC infiltré au PQ, Claude Morin lui-même, ministre québécois des Relations fédérales-provinciales.

Derrière les lignes ennemies 

Dans le monde obscur du renseignement, c’est souvent : tu m’espionnes? Je t’espionne moi aussi. Toute une histoire rocambolesque que celle de Claude Morin rémunéré par la GRC pour espionner le PQ, mais qui à son tour espionnait les fédéraux. C’était du «donnant donnant», se justifiera-t-il, une fois démasqué. Après la conférence constitutionnelle de novembre 1981, où il était le principal négociateur du Québec, sa collaboratrice Lorraine Lagacé, à qui il avait avoué son péché, alla frapper à la porte de René Lévesque. Elle lui apprit que Claude Morin avait touché de l’argent de la GRC en échange d’infos sur son gouvernement. Une véritable bombe! Convoqué par le premier ministre, loin de nier les faits, le superespion signa même une confession complète à sa demande. Pour contrer l’adversaire, précisa-t-il, il fallait oser traverser les lignes ennemies. Surtout ne pas faire l’enfant de chœur quand on prétendait faire l’indépendance. Son aveu lui vaudra néanmoins d’être viré du Conseil des ministres, le 31 décembre de la même année, par un René Lévesque complètement dévasté par la révélation.

Le chef péquiste emportera son secret dans la tombe. « L’affaire Morin », comme dira la presse, éclatera publiquement dix ans plus tard, soit peu après la mort de René Lévesque. Une affaire dont il reste aujourd’hui bien des coins d’ombre. Connaîtra-t-on un jour toute la vérité, rien que la vérité? Claude Morin était-il un agent double? Espionnait-il les péquistes de René Lévesque ou les libéraux fédéraux de Pierre Trudeau? La seule façon de le savoir serait de dépiauter ses papiers personnels qu’il a déposés aux Archives nationales en 2006. Le hic, c’est que le snoreau les a interdits à la consultation pour… cent ans! Le Québec existera-t-il encore en 2106? Pas nous, en tout cas. Ni Claude Morin.

 

Liberalist, l’espion de Justin Trudeau

Voilà ce qui s’est passé chez nous au cours des dernières décennies. De l’histoire ancienne? Pas si que ça. Grâce aux technologies modernes d’espionnage des citoyens d’une nation, le monitorage devient aujourd’hui plus sophistiqué, plus efficace, comme le lanceur d’alarme Edward Snowden l’a révélé au monde entier. Ainsi, Justin Trudeau, digne fils de l’autre, et chef des libéraux fédéraux, n’a pas besoin aujourd’hui de la valise diplomatique, comme à l’époque de son père, pour savoir ce que font et ce que disent les honnêtes citoyens lambdas et leurs dirigeants.

Son outil, c’est la gigantesque base de métadonnées dont il vient de se doter à l’exemple de celle constituée par Barack Obama, aux élections de 2012. Conçue par les informaticiens d’Apple et de Google, ces moteurs de recherche qui ramassent, comme Facebook, des millions pour ne pas dire des milliards d’infos sur la vie privée des utilisateurs, la nouvelle arme électorale des libéraux a été baptisée en anglais Liberalist. Grâce au monitorage des 23 millions d’électeurs canadiens, elle dévoile tout sur eux : intérêts, adresses, numéros de téléphone, allégeances politiques, origine ethnique, niveau de vie, etc. Bref, le Big Brother de Justin Trudeau ne surveille pas seulement vos mails et vos coups de fil, il veut aussi savoir ce que vous pensez et pour qui vous votez. L’un des admirateurs libéraux de ce nouvel espion a prédit sans état d’âme que Liberalist était l’outil qui faisait entrer le Parti libéral dans le XXIe siècle… Inquiétant, non?

Il n’y a donc plus de gêne à avoir, comme l’attitude du  premier ministre Harper en fait foi encore. Il possède, lui aussi, sa liste secrète des «amis» et des «ennemis » de son parti, de ceux qui aiment ou détestent les conservateurs : numéro de téléphone par numéro de téléphone, adresse par adresse, rue par rue, etc. Bien plus, Harper a nommé l’ex-ministre conservateur Chuck Strahl à la tête du comité de surveillance des services de renseignement canadien, le SCRS. Or, cet homme, lié à la plus secrète des agences canadiennes qui espionne les citoyens et les entreprises, a eu l’indécence de devenir lobbyiste pour la pétrolière Enbridge qui tente de faire accepter ses pipelines controversés en Colombie-Britannique et au Québec.

Un rapport qui a fuité dans les médias a révélé que Strahl avait demandé au SCRS de garder l’œil ouvert sur le « terrorisme environnemental », c’est-à-dire de surveiller les groupes et les personnes qui s’opposaient aux pipelines d’Enbridge dont il défendait les intérêts comme lobbyiste. « Quand vous espionnez vos propres citoyens s’est scandalisé le NPD, vous devez avoir de très bonnes raisons et être indépendant et fort… » Ce qui n’est pas le cas de Chuck Strahl, niché au cœur d’une liaison dangereuse doublée d’un conflit d’intérêts patent. Aux dernières nouvelles, notre espion canadien venait tout juste d’abandonner sa mission «pétrolière» devant la clameur publique.

Échelon, un documentaire télé sur le pouvoir secret des États diffusé sur France 2, en octobre 2012, et repris par You Tube, est de nature à nous enlever toute illusion sur la surveillance dont nous sommes l’objet. Selon Fred Stock et Mike Frost, deux ex-agents canadiens du C.S.T. , Centre de sécurité des télécommunications du Canada ( sorte de petit frère de la fameuse N.S.A. américaine mise en vedette par Edward Snowden ), Ottawa espionne depuis toujours des mouvements comme Green Peace, Amnistie Internationale, la Croix Rouge et, évidemment, les indépendantistes québécois. Témoignage de Mike Frost : « C’était notre boulot de fournir au gouvernement  fédéral tous les renseignements que nous pouvions trouver sur l’indépendance possible du Québec. On écoutait même les conversations entre les gouvernements du Québec et de la France. Et à ma connaissance, ça continue aujourd’hui car  la séparation du Québec est toujours d’actualité… » Pour se justifier, nous ont encore appris nos deux ex-espions, le C.S.T. disait toujours qu’il espionnait seulement les terroristes et les pays ennemis : « Ce n’était pas vrai, on espionnait aussi les pays amis et nos alliés… »

 

 Éteignez votre cell à l’aéroport !

La surveillance, c’est comme une hydre à sept têtes.Vous en coupez une, une autre émerge. Ainsi vient-on d’apprendre encore, grâce au sonneur d’alarme Edward Snowden, que les services secrets canadiens, en partenariat avec leurs collègues américains, espionnent les voyageurs utilisant Internet sans fil dans les grands aéroports du pays. Si vous projetez de prendre l’avion, laissez donc votre portable à la maison, ou éteignez-le à l’aéroport ! Sachez aussi que chaque fois que vous googlez, vous donnez du travail aux « surveillants ».

Petit crochet par la France où on se demande là aussi si on peut encore vivre caché et garder sa vie privée à l’abri des regards indiscrets de l’État. Dans ce pays, le gouvernement ordonne aux opérateurs de téléphone et aux serveurs d’Internet de conserver durant un an les données collectées. Et pourquoi, je vous le demande? Pour permettre à la police et aux services de renseignement d’y accéder, le cas échéant. « Ma vie en liberté surveillée », titrait dernièrement un reportage fouillé qui nous apprenait comment étaient collectés et stockés dans des fichiers centraux et des bibliothèques virtuelles ultraprotégées les renseignements personnels puisés dans plusieurs domaines de la vie quotidienne : téléphones, textos, SMS, mails, adresses, comptes bancaires, cartes de crédit, voyages, plaques d’immatriculation, etc. Conclusion : à l’heure actuelle, il est impossible d’échapper à la surveillance de l’État et de certaines grandes entreprises informatiques.

Et au Québec d’aujourd’hui, pouvons-nous encore vivre une vie peinarde à l’abri des indiscrétions de notre Big Brother à nous? Interrogez les étudiants de nos universités sur la vidéosurveillance. Ils en ont ras le bol d’être épiés à tout instant. Un exemple entre autres, mais pour avoir une bonne idée de l’ampleur de la surveillance, il nous faudrait un Snowden ou encore un journaliste plus futé que les autres qui creuserait le dossier au lieu de coller à son fauteuil et de mémérer sur tout et sur rien.

Difficile à imaginer. Obnubilés par la croisade anticharte de la laïcité du PQ orchestrée par le Parti libéral — jusqu’à se réveiller la nuit pour haïr Pauline Marois ! —, nos blogueurs et reporters de presse ne voient sur leur écran radar que le voile islamiste qu’ils s’acharnent à banaliser. « La charte de la honte ! » s’indigne dans La Presse la plus que prévisible Lysiane Gagnon tandis que sa collègue blogueuse du Devoir, Francine Pelletier, ne voit dans toute cette histoire que de la «chicane». Mot valise du dictionnaire fédéraliste et libéral, qu’elle a emprunté à Jean Charest, et qui vise à bloquer la réflexion collective sur des enjeux importants comme l’indépendance ou l’islamisation rampante de la société québécoise.

Pourtant, tout le monde le sait, ou devrait le savoir, le voile islamiste constitue le symbole le plus visible de l’infériorité et de l’inégalité de la femme musulmane. Comme l’écrit le philosophe Alain Finkielkraut, c’est l’outil par excellence de l’islam pour diviser le monde en deux et l’organiser selon une stricte séparation des sexes. C’est pour quand, le « burkini » dans les piscines publiques de la province réservées aux femmes ? Nos espions de toute farine en seraient frustrés, sinon nos journalistes prêts à tout avaler pour ne pas faire de « chicane ». Car la vidéosurveillance deviendrait mortellement ennuyeuse avec toutes ces femmes emmaillotées des pieds à la tête…

Pierre Godin

 


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