Par pierre Godin
Une fois que les Québécois auront accueilli à bras ouverts les milliers de réfugiés syriens, selon leur générosité proverbiale, il faudra se poser la question : seront-ils anglicisés comme l’ont été les immigrants sous le gouvernement libéral de Jean Charest? Aux élections d’avril 2014, Pauline Marois s’était désolée dans sa péroraison finale que la question du français fut évincée de la campagne.
Remarque judicieuse, car il était évident que Philippe Couillard, successeur de Jean Charest, avait intérêt à tuer le sujet, vu la béance de son indifférence vis-à-vis l’avenir du français dont on a eu un aperçu inquiétant au second débat des chefs. Et vu aussi le bilan accablant de son prédécesseur au sujet de la francisation des nouveaux Québécois qu’on pourrait résumer ainsi : plus on accueillait d’immigrants, plus on les anglicisait.
Petit rappel des faits.
La politique d’anglicisation des libéraux visait, à plus ou moins long terme, à modifier le caractère français du Québec en faveur de l’anglais. La statistique était implacable. Des 49 489 immigrés accueillis en 2009 (la population d’une ville moyenne de province), à peine 25 % suivaient des cours de français, alors que 40 % les boudaient carrément au vu et au su du gouvernement libéral.
« On progresse en matière de francisation », s’entêtait pourtant à dire Yolande James, ministre responsable de l’immigration. La réalité était tout autre. Débarqués chez nous en baragouinant deux ou trois mots de français, ou pas un seul, les migrants ne le parlaient toujours pas des mois après leur arrivée. Ils pouvaient remercier Jean Charest qui faisait reposer la francisation sur l’incitation, la bonne volonté, la tape dans le dos, le tout sourire… C’était la porte grande ouverte à l’anglicisation à cause de la force d’attraction de l’anglais nord-américain.
Aux États-Unis, en France, en Allemagne et en Angleterre, la connaissance de la langue commune, anglaise, française ou allemande, est obligatoire pour tout immigrant. Alors qu’au Québec des libéraux, il n’était pas nécessaire d’apprendre le français même s’il s’agissait de la langue commune. Mais ce n’était pas cette petite « contrariété » qui allait les faire renoncer à leur politique visant à angliciser l’immigration et la société québécoise par ricochet.
En effet, des cours de français, il y en aurait de moins en moins. Objectif du gouvernement Charest : abolir le maximum de classes de francisation en évitant toutefois de soulever la tempête chez les « angoissés de la langue », pour reprendre l’expression de l’une des « plumes » de La Presse, Alain Dubuc. Connecté au milieu des affaires qui avaient combattu bec et ongles la Charte du français (loi 101) adoptée, 30 ans plus tôt, par René Lévesque, le scribe tombait dans la dérision propre à ceux que le même René Lévesque appelait « nos exilés de l’intérieur ».
Sous prétexte de coupes budgétaires, la ministre Yolande James ferma donc 30 classes de francisation à temps complet, puis quelque temps plus tard, 35 autres classes destinées, celles-là, aux travailleurs immigrants. Cette dernière coupe allait faire épargner à l’État 600 000 $ dollars sur un budget de… 72$ millions. « Une économie de bout de chandelles », s’insurgea l’Opposition péquiste, scandalisée.
Aux journalistes intrigués par ces compressions, car ils constataient tous les jours l’incapacité d’un grand nombre d’allophones de s’exprimer en français, la ministre babilla : « Les immigrants peuvent toujours décider d’apprendre le français par eux-mêmes… » Elle en était rendue aux expédients. Pourtant, les experts avaient calculé qu’à Montréal, plus de la moitié des travailleurs immigrants ne parlaient pas un traître mot de français.
Pour redresser la situation et prouver qu’il se souciait du français, Jean Charest fit insérer un article « audacieux » dans le texte de son controversé projet de loi 103 sur l’école passerelle. Il s’agissait de cette loi discriminatoire qui, en violation de la loi 101, ouvrait la porte de l’école anglaise privée aux enfants des immigrants riches, les enfants des milieux modestes étant « condamnés » à l’école publique française… L’article stipulait que « le français était la langue normale et habituelle de l’espace public, un instrument essentiel de cohésion sociale » et qu’il était important « d’en assurer la pérennité ».
Las! devant la résistance de son électorat anglophone et allophone, à qui il devait le pouvoir, il s’était hâté de reculer honteusement. On n’entendit plus jamais parler de l’article en question, prestement caviardé dans le texte original de la loi 103, comme l’avait révélé après coup la presse. Il ne s’était agi en somme que d’une entourloupette pour calmer « les angoissés de la langue » qui s’inquiétaient des dommages collatéraux que l’école passerelle causerait à la longue au caractère français du Québec.
Succédant à Yolande James qui avait jeté l’éponge, ce fut au tour de la nouvelle ministre de l’Immigration, Kathleen Weil, de « s’illustrer ». La stratégie de cette ancienne avocate d’Alliance Québec, défunt lobby anglo très militant lié aux libéraux qui avait combattu la loi 101, était des plus limpides. Imaginer mille stratagèmes pour compliquer et ralentir la francisation des immigrants. Et par ricochet, stopper la perte de poids de sa communauté de référence en redirigeant le plus possible d’allophones vers l’école anglaise.
Pour réussir sa nouvelle « mission », la ministre pouvait miser sur la passivité indéfectible de son chef qui, comme Philippe Couillard aujourd’hui, n’éprouvait aucune fixette à propos de la francisation. À Montréal, comme la moitié des travailleurs immigrants ne baragouinaient pas plus l’anglais que le français, elle chuchota aux hauts fonctionnaires de son ministère : « Il faut parler anglais pour se trouver un emploi. La réalité, c’est ça. Nous allons donc payer des cours d’anglais aux immigrants, à tous les immigrants, même francophones… »
Sujet tellement explosif qu’il était plus ou moins tabou, à l’interne. Quand l’affaire fuita dans la presse, la ministre Weil chercha à noyer le poisson : « La langue de travail, c’est sûr que c’est le français, mais… » Que voulait donc dire ce « mais »? On l’apprit bientôt par les titres des quotidiens : « Langue de travail — le gouvernement consacre des millions de dollars à l’anglicisation des immigrants. »
Révoltés par la politique de leur ministre, des cadres intermédiaires multipliaient les confidences aux journalistes : « On dit aux immigrants que l’anglais est nécessaire pour avoir un emploi. On fait ça discrètement parce que si le monde le savait… Le pire, c’est que comme on a fermé beaucoup de classes de français, les immigrants doivent attendre des mois parfois avant de pouvoir y aller. Alors, on leur suggère de suivre des cours d’anglais …en attendant. Vous voyez l’astuce : on coupe la francisation pour favoriser l’anglicisation ? »
Nullement intimidée par l’Opposition péquiste qui ravalait sa politique à « une invitation à s’angliciser », Kathleen Weil chercha néanmoins à atténuer l’impact négatif des cours d’anglais qu’elle « payait » aux travailleurs immigrants francophones : « Est-ce qu’un immigrant francophone devient anglicisé parce qu’il parle un peu d’anglais? Non, pas du tout… » La réalité prouvait le contraire. Immerger l’étranger à son arrivée dans un bain d’anglais en lui répétant qu’il devait le parler pour gagner sa croûte le ferait chavirer à jamais du côté de la vie en anglais. Il réaliserait vite que, mêmes minoritaires, les winners anglos imposaient leur langue aux loosers francos complexés qui s’empressaient de fourrer leur langue dans leur poche dès qu’ils entendaient tinter un mot d’anglais autour d’eux.
Se cramponnant à son plan d’anglicisation des allophones, Kathleen Weil appuya encore sur le champignon. Elle annonça, sans y voir de contradiction, qu’elle comptait accueillir encore plus d’immigrants. Dépasser même le chiffre mythique de 50 000 par année. Satisfaite d’elle-même, elle gazouilla : « Je ne vois aucune nécessité d’augmenter les budgets consacrés à la francisation des immigrants, on réussit très bien ce qu’on fait déjà. » Pauline Marois avait son voyage. Prenant la presse à témoin, elle explosa : « La ministre doit être la seule au pays à croire qu’elle peut accueillir plus de 50 000 immigrants par année sans mettre plus de ressources pour les franciser. »
Un employé du métro en eut ras le pompon de tous ces immigrés anglicisés par les libéraux qui lui demandaient leur chemin dans un anglais boitillant au lieu de s’adresser à lui en français. Il promulgua sa propre politique de francisation. « Dans le métro, c’est en français que ça se passe! » annonçait l’affichette qu’il plaça près de son guichet. Quand l’État ne fait pas ce qu’on attend de lui, les citoyens rédigent leur propre loi!
Croyez-le ou non, nos blogueurs de presse francophones le désavouèrent. L’un d’eux, le barbichu Michel David, du Devoir, adopta même un ton paternaliste pour moraliser l’employé : « La communauté anglo s’est insurgée à bon droit contre cet employé à qui il n’appartenait pas d’interpréter la façon dont la Charte du français devrait être appliquée dans le métro… »
Par chance, ce n’étaient pas tous les citoyens qui baissaient les bras devant la part de plus en plus chiche réservée au français dans les services publics de la métropole et devant la politique libérale d’anglicisation des nouveaux Québécois. « Que plus de 100 000 travailleurs immigrants ignorent le français est anormal et inquiétant », dénoncèrent les syndicats du monde de l’enseignement et du monde ouvrier. Et les zélés défenseurs du français de compléter : « Chaque fois qu’on donne des services en anglais aux allophones, on passe le message : pas besoin d’apprendre le français, vous êtes dans un État bilingue, vous pouvez travailler et vivre en anglais. »
Même si le mur de béton sur lequel Kathleen Weil allait finir par se cogner le nez se rapprochait, elle imagina un nouveau stratagème pour réduire, cette fois, le nombre de migrants francophones désireux de se fixer chez nous. Sous prétexte d’une plus grande « diversité culturelle » (are you kidding !), la ministre fixa un quota de 30 % par bassin démographique. Il fallait creuser sous la surface de ce 30 % pour découvrir la couleuvre qu’elle y avait cachée.
En effet, même si nous recrutions nos immigrants dans plus de 130 pays du globe, la grande majorité provenait de nations où l’on parlait le français : France, Suisse, Belgique. Mais plus encore, pas loin de 40 % des allophones provenaient du bassin méditerranéen — Algérie, Maroc, Tunisie — où on parlait le français couramment. Ces migrants répondaient parfaitement bien aux critères de sélection adoptés par le gouvernement du Parti québécois précédent : jeunes, scolarisés et francophones. Une grille de sélection contestée par la ministre Weil qui cherchait à contingenter les zones à forte immigration francophone en les soumettant à la règle du 30 %.
« C’est de la discrimination! » s’exclamèrent les critiques qui fusaient de tous bords et de tous côtés, à l’exception des milieux d’affaires inféodés aux libéraux et de la bergerie libérale. Perplexe, le Conseil supérieur de la langue française s’interrogeait sur « les motifs cachés » de la ministre. Pauline Marois y décelait, elle, la volonté à peine masquée des libéraux de limiter l’immigration francophone. En noyant les tricotés serrés dans une mer d’étrangers parlant d’autres langues que le français, Jean Charest ne perdait pas non plus de vue sa réélection garantie par le vote massif des Anglos et des immigrés.
Robert Dutrisac, du Devoir, décortiqua à sa façon la stratégie gouvernementale : « L’appui aux libéraux est plus fort chez les allophones que chez les francophones. Le gouvernement a donc un intérêt objectif à faire diminuer le poids relatif des natifs dans la population en accueillant de plus en plus d’immigrés… »
Mais « dear Kathleen », comme ironisaient les péquistes, avait franchi la ligne rouge en voulant restreindre le nombre de migrants en provenance des pays de l’Afrique francophone. Elle dut reculer honteusement, renonçant à son quota de 30 % par bassin d’immigration. « C’est perçu négativement, c’est perçu comme de la discrimination, bredouilla-t-elle, la mine déconfite. Ce n’était pas le bon message à envoyer, je l’admets… »
Même échaudée, elle imagina une autre gimmick pour angliciser les immigrants. Désormais, ce ne serait plus ni elle ni son ministère, mais les organismes communautaires, qui les accueilleraient. Jusqu’ici, l’accueil du nouveau venu se faisait en deux temps et obligatoirement en français, afin de bien lui faire comprendre qu’il débarquait dans une province de langue française.
À l’avenir, l’immigrant n’aurait droit qu’à une seule séance d’information donnée non plus par un fonctionnaire de l’État, mais par les communautaires qui pourraient, le cas échéant, recourir à l’anglais ou à une autre langue. Ça rouspétait du côté des fonctionnaires qui se défoulaient auprès des journalistes : « La ministre Weil n’a fait que copier ce qui se fait dans les provinces anglaises. Chez nous, on faisait les choses différemment. Il nous avait toujours semblé important que l’immigré soit d’abord en contact avec un État qui parle français. »
À l’avenir, la langue d’accueil pourrait être aussi bien l’anglais que l’espagnol, l’italien, l’allemand, le russe, le chinois, le kazakh, l’espéranto, mais pas le français… Avec l’élection de Philippe Couillard, le 7 avril 2014, il fallait s’attendre à replonger dans la Babel Ville des libéraux de Jean Charest, vu qu’il avait soutenu durant la campagne électorale que même les ouvriers d’une chaîne de montage de province devaient parler anglais pour plaire à leurs boss américains! Mais d’où sortait-il, celui-là, se moquaient ses adversaires péquistes? S’imaginait-il encore en Arabie saoudite où il avait conseillé la pire dictature intégriste du monde arabe? Sans doute en avait-il été trop imprégné, car de retour au pays, il affirma que « l’intégrisme était un choix personnel »…
Certes, dans ce pays saoudien où on lapide la femme adultère, l’arabe est la langue nationale, mais l’anglais est néanmoins obligatoire et largement utilisé sur l’ensemble du territoire. Un modèle linguistique qui a l’air de plaire au premier ministre du Québec qui, soit dit en passant, a reconduit à l’Immigration la ministre Weil, malgré son bilan désastreux de la francisation des immigrants. Il ne reste plus à Philippe Couillard qu’à demander aux Québécoises de porter le hidjab ! Ou même la burqa, habitué qu’il était à fréquenter les Saoudiennes qui le portent par obligation.
God.pierre@videotron.ca